Rencontres 2024

Depuis au moins deux décennies, prix et programmations dans de grands festivals internationaux donnent la preuve palpable que la cinématographie nationale traverse une phase d’essais et de quêtes des plus fertiles. En marge d’un discours d’éloge et de célébration pertinent, nécessaire, ci-dessous quelques constats et suggestions de questionnements généraux susceptibles de mettre en perspective le phénomène.
1: La programmation de L’intégrale Faouizi Bensaïdi, comprenant courts et longs métrages, – une première dans l’histoire des festivals au Maroc-, sera accompagnée et ponctuée par une table ronde réunissant critiques et chercheurs invités à décrypter un parcours et un univers des plus singuliers et pluriels ; une séquence à deux moments conçue avec l’aide généreuse et complice de l’auteur et ce, de manière à constituer, avec la projection de récents longs métrages d’auteur(e)s marocain(e)s, une sorte d’interface à même d’aider à dégager les lignes de force d’une oeuvre en cours traversée par des préoccupations tant individuelles que communes. Dans son dernier ouvrage : Le cinéma à l’épreuve du divers : Politiques du regard (2021), Jean Michel Frodon, ami de longue date du Festival du cinéma méditerranéen, fait référence à un contexte comme celui du Maroc à travers le nom de Nourredine Saïl, ex-directeur du Centre Cinématographique Marocain, qui, porteur et défenseur d’un grand projet Sud-Sud, pariait sur le couplage : Quantité/Qualité en foyer d’un potentiel tiers espace en marge du (des) Centre(s). Le nouvel élan d’essais et de quêtes de la cinématographie nationale ne s’inscrit-il pas dans une zone de type et de nature interstitiels ? L’analyse et le prolongement apportés par l’ouvrage de J.M.Frodon à partir des cinématographies provenant des cinq continents, nous semble se frayer une voie vers ce qui se cherche en termes de plus en plus fermes, nuancés et subtiles en direction des genres cinématographiques établis, dominants. Appréhendant de plus près la nature des manques dont pâtissent notamment le cinéma(s) du Sud(s) en même temps que des chances s’offrant à eux en termes d’émancipations esthétiques, l’ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma fait référence au dit couple Quantité/Qualité à travers l’exemple de Nollywood (Niger) et Bollywood (Bombay) qui, marquant d’abord leurs publics nationaux et diasporas respectifs, renvoient à un duo restant pour l’essentiel et le plus souvent non « contraint de s’associer aux enjeux d’un cinéma mondial dont il se soucie d’ailleurs assez peu. C’est de fait ce que font leurs promoteurs, ressassant l’incontestable popularité de la formule pour invoquer la fameuse conversion de la quantité en qualité, conversion d’autant moins susceptible de se produire qu’elle n’est que très marginalement un enjeu ou un horizon pour les produits de Nollywood ».
Par ailleurs, zoomant sur la singulière double explosion quantitative que connaît l’Afrique anglophone, le critique tient à souligner, malgré l’absence « d’enjeu et d’horizon », la présence d’une ambivalence dans le rapport aux : « genres cinématographiques (qui) ont, dans d’autres circonstances, donné lieu à de grandes œuvres mais l’appartenance au système des genres n’en est nullement une garantie». Aujourd’hui, le pari donc ne serait-ce pas celui du rapport créatif et évolutif des films, entre autres, aux dits genres, c’est-a-dire, en définitif, du rapport des films à eux-mêmes autant qu’au(x) public(s) d’ici et d’ailleurs ? A la sortie récente du dernier long métrage de Faouizi Bensaïdi, : Déserts, dont le (sous)-titre en langue arabe est: A-Toultoû Al-Khâlî, التلث الخالي « Tiers vide », le même critique avance dans son journal sur le Web : « Dans les différentes façons d’occuper ces espaces, et de les filmer, F.B transforme sa comédie grinçante en western épique avec une aisance poétique sidérante…Drame amoureux et vengeance implacable trouvent, dans ce désert semblable et différent de celui que sillonnait la voiture des deux gus au début, un souffle du geste de mise en scène, offre l’accès à un monde en plusieurs dimensions. Et c’est toute la richesse de cette proposition de cinéma, à la fois ouverte et intense ».

La relation chez l‘auteur de La Falaise (1999) et de Jours d’été (2022) entre cinéma : greffe et recyclage des motifs thématiques du western, thriller, burlesque, mémoire : autobiographique, cinéphilique et espace : villes, déserts et autres lieux en transit repérés et/ou bâtis constituerait le foyer triadique de si hautes et permanentes tensions « offr(ant) l’accès à un monde en plusieurs dimensions ».
L’appréciation de J.M.Frodon nous semble d’autant plus juste qu’elle aborde le nouveau film de F.B en résonance avec deux longs métrages, l’un, finlandais, Les feuilles mortes d’Ari Kaurismäki, l’autre, vietnamien, L’Arbre aux papillons d’or de Pham Tien An : « Trois films, trois cadeaux merveilleux, qu’il n’y a aucune raison de comparer, encore moins de mettre en compétition. A la singularité absolue de chacun s’ajoute pourtant cette bonne nouvelle supplémentaire qu’ils portent ensemble, la diversité peu prévisible de ce dont ils se trouvent être, sinon les représentants, du moins les symptômes…Ensemble, ils témoignent de la vitalité mondiale de la création cinématographique, surtout si, contrairement à ce que font 90% des médias et des responsables, on ne se focalise pas sur les seuls Etats-Unis et France ».
Hors le couplage, souvent contraignant, asphyxiant : Nord vs Sud, les trois films cannois ont statut de trois pièces relativement rares élargissant le territoire des « dynamiques complexes et des passionnants enjeux pour qui s’intéresse à la vie artistique et intellectuelle du cinéma mondial » souligne celui qui, rapprochant cinéastes d’horizons culturels divers, formule les éléments d’une approche critique à même peut-être d’inspirer et d’élargir celle de nos auteur(e)s dont les films témoignent d’un réel et persévérant effort d’acclimatation au (du) pays cinéma.
Des films qui, souvent objet d’approche conjoncturelle, polémique et presque exclusivement individuelle, séparée, cela, d’évidence, empêche de les voir en foyers de processus génériques et thématiques singuliers, collectifs et, peu ou prou, communs à bien d’autres cinématographies dudit pays cinéma.
2: Voici quelques suggestions de problématiques à l’adresse de nos invités, critiques et chercheurs :
-Résonances réelles et/ou possibles de l’auteur de Mille Mois avec les « nouveaux cinémas » d’auteurs, d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui ?
-Convergences et/ou divergences thématiques, génériques et autres entre «pionniers » et « jeunes » cinéastes ?
-Etat des lieux descriptif et critique relatif au cinéma et aux films marocains de la décennie en cours ?
-Au regard de l’absence aujourd’hui d’un public « fédéré » par un parc de salles de cinéma structuré à l’échelle nationale qu’en est-il, -aux temps des plates-formes-, de la question de la production, de la diffusion et de la réception ?
-Comment appréhender le partenariat étranger en matière de production et de co-production en relation avec les choix esthétiques escomptés, possibles ?

Ex-rédacteur en chef de la revue Cinéma 3, titre salué par Roland Barthes dans la dédicace de son essai : Le troisième sens (1971), Nourredine Saïl, marqua en 2019, à l’issue d’un entretien portant sur l’état du cinéma national au temps de la récente crise sanitaire planétaire, un arrêt sur l’expérience cinématographique d’Eric Rohmer, D.V.D du long métrage : Pauline à la plage (1983) à l’appui: « Petit budget, idées pour grand film » dit-il en substance à son interlocuteur. « Arrêt sur image » ne manquant de surprendre au regard de la place plus que rare d’E.R dans les références cinéphiliques chères à N.S. L’auteur membre « pionnier » de la « Nouvelle Vague » française semble pourtant avoir ici la place d’un prototype à même de relever les défis d’un contexte où la jeune production nationale s’est vue sérieusement menacée. Le nom d’Eric Rohmer y est avancé en tant que voie possible, viable, pour tout cinéma « périphérique» en quête d’« autonomie » ? Une voie tierce à même de contourner le poids d’un centre se reproduisant désormais en « flux industriel » (Olivier Assayas)?
Or, « qu’adviendra-t-il d’un monde où le hasard –et par extension la grâce et les miracles-aurait été éliminé ? » s’interroge un jeune rohmerien, venant de la Corée du Sud, Rhûsuke Hamaguchi, auteur du long métrage intitulé rien moins que : « Contes du hasard et autres fantaisies » (2023) ? La notion de hasard est, notons-le, tapie, incrustée dans l’étymologie de la langue arabe conjuguant zâhra, rose, étoile, Vénus et jeu de dés nommé ,زهر zâhr.
Face à une oeuvre faite d’univers « miniaturisés et cristallins », (Gilles Deleuze), l’objectif axial du colloque est d’inviter nos intervenant(e)s à nous faire part de la manière dont ils (elles) appréhendent la place et la portée d’une singulière expérience cinématographique accomplie entre Centre et Périphérie, Artisanat, Art et Technique, Culture, Histoire et Saisons. Eric Rohmer, héritage cinématographique et « classique » et « contemporain », n’est-il pas le nom d’un des paris majeurs des cinéastes du Sud(s) ?